Noël au Chiapas
Le 9 janvier 2009
Retour de vacances, reprise du travail, on connaît tous ça... En l’occurence on rentre de deux semaines tres dépaysantes...
Pour commencer dans l’ordre : les huit jours au Chiapas. On a donc profité de mes deux semaines de vacances pour filer dans cet état qui décidément nous est très cher et ne nous déçoit jamais. Première étape, la belle ville de San Cristobal, qu’on connaissait déjà.
Deux jours pour déguster le café chiapaneco au musée du café. Au passage on apprend que le Chiapas est de loin le premier producteur et exportateur de café mexicain, devant Oaxaca et Veracruz ; que les tout petits producteurs bio représentent la grande majorité de la production de café de l’état ; que les gros producteurs, qui continuent de mettre la main sur les terres des plus petits ne se gênent pas pour payer leurs employés (majoritairement des mayas) moins d’un euro par jour. A croire que l’ALENA a été signé entre le Canada, les Etats-Unis et les états mexicains situés au Nord de la ceinture de feu, frontière géologique mais aussi fracture sociale divisant un pays à l'économie deux vitesses. D’ailleurs cette année, les 15 ans de la signature de ce traité élitiste correspondent aux 15 ans de la première insurrection zapatiste... Ambiance électrique...
A San Cristobal on va aussi au musée de la culture maya, dans un quartier périphérique de la ville (la ceinture de misère comme diraient les « routards » qui écrivent les guides...) Un joli endroit très intéressant, qui apprend beaucoup de choses sur la médecine par les plantes et l’accouchement (très impressionnant) traditionnel.
Décidés à se perdre dans la jungle on quitte San Cristobal pour le sud, escale à Comitan, une ville sans autre charme ses quelques églises et sa place centrale. C’est surtout de là que partent les bus qui nous emmènent, le 24 décembre, aux Lagunas de Montebello : dans une zone volcanique, des cratères remplis d’eau dont la couleur peut varier, selon l’inclinaison du soleil, les algues, et le type de roche, du turquoise clair au bleu vif. 56 lagunes, une vraie palette de peintre !
Jour de Noël oblige, on ne trouve pas de bus qui nous amène directement dans la jungle. On fera donc une étape forcée dans un tout petit village de 80 habitants : Ixcan, terminus du dernier bus de la journée, dans lequel on rencontre Marino et Yoar, un couple d’espagnols. Le village est à l’orée de la forêt, au bord d’un magnifique fleuve. On y campe. Le soir on va à la messe de Noël (avec seulement une quarantaine de personnes puisque l’autre moitiée du village, évangéliste, ne célèbre pas cette fête catholique). Après la messe, le plus riche du village invite tout le monde chez lui pour un barbecue géant (personnellement je n’ai jamais vu autant de viande de ma vie). Intrigués par les touristes, les ados se lancent le défi de nous inviter à danser Yoar et moi, défi que nous relevons avec plaisir, suivies de près par Lodewijk et Marino qui mettront le feu à la piste jusqu’à 2 heures du matin. Il faut dire que les femmes généreuses nous arrosaient d’alcool de canne... Une bonne gueule de bois le 25 au matin...
Le lendemain, toujours pas de bus. On arrive tout de même à attrapper un combi qui nous rapproche de notre but. On passe la pire nuit du voyage à Benemerito Las Americas, une ville traversée par la Carretera Fronteriza, une belle route bien bitumée construite par le gouvernement mexicain pour contrôler les trafics de tous genres entre le Mexique et le Guatemala. BLA, ville qu’on dirait figée à un dimanche soir d’hiver tant l’ambiance est pesante, ville où tout doit se passer sous le manteau, royaume de toxicos, prostituées-clochardes, jeunes en perdition, et flics corrompus. Une nuit nous suffit amplement. Décidément, la frontière guatemalteque va devenir un mythe...
Le 26 on part tôt pour les ruines mayas de Yaxchilan. Ce sont les plus grandes ruines de cette région, habitées de 600 à 900 environ par un peuple dont les gouverneurs avaient des noms aussi exotiques que Jaguar-Serpent IV, ou Jaguar-Oiseau II. Les ruines se situent au bord de l’Usumacinta, le plus gros fleuve du Mexique, il faut donc y aller en lancha. Que d’émotion sur cet énorme fleuve (qui nous en rappelle un autre...), bordé de fromagers géants, de jungle, et de singes hurleurs qui portent décidément bien leur nom.
On arrive aux ruines, et le spectacle est donné tant par les pierres très bien conservées, que par la forêt equatoriale, sa végétation dense, ses oiseaux de toutes les couleurs, ses singes-araignées.
Notre objectif était d’aller voir de plus près la forêt Lacandone, cette jungle encore énorme, mais qui a perdu en 40 ans les deux tiers de sa superficie, par les déforestations anarchiques des promoteurs, producteurs de café, et découvreures de pétrole.
Certaines communautés mayas, poussées à une misère extrème par l’esclavage moderne dont elles sont les victimes se sont aussi créé des petits espaces au coeur de la forêt, pour y vivre chichement mais de manière autonome. Cette forêt c’est aussi le repère des zapatistes, dont personne ne sait exactement où sont les camps d’entraînement. Nous décidons de planter notre tente dans l’une des familles mayas qui ont fondé un camp écotouristique : Lancanja Chansayab.
Parmi les différents campements, on choisit le plus simple, el Tucan Verde: trois cabañas, pas de douche parce qu’il y a un très joli petit ruisseau qui coule juste derrière, à l’orée de la forêt. C’est la famille d’Ismael qui nous accueille, nous nourrit, et nous fournit un guide pour un long tour dans la jungle le lendemain. Entre temps on avait retrouvé par hasard Ioar et Marino, nos compañeros espagnols, et 3 autres mexicains. C’est à 7 qu’on part donc à 7 heures du matin.
Bor, notre guide, est une encyclopédie en ce qui concerne les plantes, les animaux, la vie dans la jungle. Il repère les toucans, les perroquets, il reconnaît l’odeur des tapirs et des putois, remarque les traces de fourmilliers. Il connaît tous les arbres : le matapalo, qui pousse autour d’un tronc jusqu’à l’étouffer, le ceiba (fromager) qui atteint parfois 50 mètres de haut, le cèdre qui sert a construir les maisons, la caoba, un bois rouge qui sert à faire les portes et les meubles.
Et puis surtout, il a appris de son grand-père la médecine des plantes : le corozo, qui est une plante dont on mastique la racine contre les morsures de serpent, l’uña de gato dont on fait une infusion avec la racine contre les colliques, l’écorce du chacahuante qu’on applique sur la gencive douloureuse, la plante qui rend aveugle si on en mange, celle qui rend la vue si on l’applique sur l’oeil. Une tradition, de bouche à oreille, qui remonte à des siècles.
On arrive ensuite à des ruines mayas, qui appartiennent au complexe de Bonampak, qui ont été découvertes il y a 20 ans et qui n’ont pas été exploitées pour le tourisme.
On termine cette rando enchanteresse par une baignade dans des cascades d’eau turquoise et bien fraîche, avant de rentrer au campamento Tucàn Verde, et de déguster le délicieux poulet au mole chiapaneco de la maîtresse de maison (qui s’appelle « petite grande » en maya). Dans la cabane ils parlent maya, une langue guturale, presque sans voyelles, tout se passe au fond de la gorge, une langue de guerriers.
On restera encore un jour en compagnie de cette famille adorable, et puis on reprendra un combi direction Palenque. La Carretera Fronteriza, encore une fois. Pendant le trajet, s’alternent les postes de controle militaire et les villages zapatistes, indiqués par des anneaux en bois sur lesquels j’ai le temps de repérer deux choses essentielles : l’étoile rouge et un slogan qui revient souvent :
“Aquí el pueblo manda, el gobierno obedece”
( ici le peuple commande, le gouvernement obéit)
Ambiance Chiapas...